Ecrits gnostiques

Les Gnostiques reconnaissent que l'existence terrestre est une déchéance pour celui qui naît : on y est jeté malgré soi, on devient autre chose que ce que l'on était primordialement, cette aliénation équivaut à une espèce de captivité : le monde terrestre est matériel, il est considéré comme le Mal, le monde spirituel est considéré comme le Bien (et puisque engendrer un être humain, c'est réincarner un être spirituel dans la matière... les Gnostiques sont antiprocréationnistes : on retrouve là une des thèses « immorales » qui l'a fait rejeter par l'Église – mais elle est loin d'être la seule). La « Gnosis » – qui signifie connaissance en grec – est une espèce de révélation secrète, de connaissance intuitive et mystique, générée par l'observation de soi et de la nature. Elle est une voie salvatrice qui mène du chaos amer, où l'âme est captive de la matière jusqu'au Plérôme, monde supérieur et transcendant, qui est la source de l'être. Seulement en acquerrant la gnose pouvons-nous nous évader de cet enfer dans lequel nous sommes jetés en naissant sur terre. Les hommes qui cherchent à acquérir la gnose doivent s'interroger sans arrêt en fouillant en eux, et en éliminant progressivement ce qu'ils ne sentent pas d'eux, tout ce qui a souillé leur être originel – en premier lieu l'éducation, plus largement la culture. La culture en effet constitue une aliénation, donc aller vers la gnose demande de faire table rase de toutes les croyances et de tous les conditionnements sociaux. La personnalité d'un home est le fruit de son apprentissage intellectuel de certaines valeurs dans une société donnée, apprentissage qui trouve ses racines dans l'ignorance de cet homme de ce qu'il est, et en même temps dans la nécessité d'appartenir à un même monde créé par les hommes qui constituent son entourage, de manière générale la société. Cet apprentissage est une copie de l'autre au service de tous, mais certainement pas au service de l'homme : parce que seules les expériences personnelles peuvent permettre à chacun de se connaître. Mais comme l'expérience est longue, trop coûteuse, trop risquée - cela est admis par toutes les classes de notre civilisation - les hommes préfèrent une pale copie de ce qui a été crée par d'autres plutôt que de faire au présent. Les hommes qui se prétendent raisonnables devraient admettre que, même si cela est plus difficile, mieux vaut se gouverner, exister par soi-même, plutôt que de suivre mécaniquement les autres, qui, quand ils font de mauvais choix, entraînent les uns et les autres dans leur chute : il vaut mieux qu'un homme se trompe lui-même, plutôt que d'être trompé par tous, et ne sachant plus, en définitive et petit à petit, par qui et comment. Les gnostiques estiment ainsi que la marche vers la conscience de soi passe d'abord par la mesure en soi la plus large possible de toute cette énergie que nous utilisons par ce qui pourtant « n'est pas » de nous : le travail de conscience d'un homme doit consister à se défaire progressivement de ce qui n'est pas de lui, c'est-à-dire qu'il faut découvrir en soi ce qui n'est pas de soi, avant de pouvoir découvrir ce qui est de soi. Seulement en quittant, en se dépouillant de sa personnalité chacun peut-il trouver son être réel. La personnalité – forgée par un apprentissage intellectuel forcé d'une culture – est passagère, éphémère. La personnalité ne fait pas partie de notre être réel, elle est le fruit de contingences particulières (qui font que je suis socialement « comme ça ») qui ne sont pas le résultat de mes propres expériences, mais d'un apprentissage de valeurs dans une société où tout est réduit au « on » collectif et indéfini. Cette main mise de la société sur les hommes est une mauvaise maladie qui produit des intellectuels, dont la tare majeure est de toujours rappliquer avec le bagage des autres, se « référer à », « déléguer sa conscience » aux mots des autres : « il est dit que », « j’ai lu que », « il paraît que »… Mais un homme conscient dit « je », et non pas « X a dit », « Y a dit »… Il n'est donc pas question, dans le travail sur soi, d'être « quelque chose » ou de « créer » quoique ce soit. Il est question de redevenir soi-même en allant vers ce qui existe de soi, et non en cherchant à découvrir hors de soi ce que nous sommes : « vous n'entrerez pas dans le Royaume, si vous ne redevenez comme des petits enfants » (parole attribuée au Christ). Les hommes ont toujours tendance à analyser, à répondre aux questions qu'ils se posent sur eux et sur la vie par des analyses dans le mauvais sens du terme, c'est-à-dire en utilisant seulement leur intellect et non leur sentir. Ces analyses consistent toujours en la recherche de la responsabilité de quelqu'un d'autre, de quelque chose. Ce faisant, les hommes se fuient sans cesse, à chaque seconde, parce que la plupart du temps, ils cherchent ailleurs ce qui, en définitive, ne pourrait être trouvé qu'en eux-mêmes. L'homme paie trop cher ce qui lui est inutile, et au contraire sous estime ce qui vaut un prix. Un homme est comme une bille bleue mais qui se prend pour des billes de toutes les couleurs. Si un jour il décide de retrouver la bonne bille (pour être soi-même), il ne faut donc pas s'attendre à ce qu'il la trouve de suite, car le sac s'est progressivement rempli de billes et a multiplié son volume depuis longtemps déjà, la chose se compliquant de plus en plus avec l'âge car avec la culture les hommes perdent les pieds petit à petit mais souvent irrévocablement. Il faut donc beaucoup de chance et de persévérance, il faut surtout un désir personnel exorbitant et rare, pour se préparer à enfin voir, redécouvrir, son être vrai. Une telle préparation, puisque nous vivons dans un monde très largement faux, doit commencer par la prise de conscience de ce qui n'est pas de soi, de ce qui se situe au plus près de la partie humaine, à savoir la culture, la psychologie, les réactions, prendre conscience de la relation perverse culture/nature qui produit des pans entiers de psychologie dont l'homme ignore le plus souvent leur existence en lui. Prendre conscience donc de toutes ses croyances, de ce que je deviens, de ce que je suis à cause des autres. Ensuite essayer de prendre conscience de comment je fais pour me tromper moi-même. On ne peut pas, en effet, moins se tromper, sans avoir au préalable expérimenté en soi la plupart de ses trouvailles utilisés pour se tromper soi-même. Gurdjieff – qui a apporté en Occident la Quatrième Voie ou voie de l’homme rusé (son enseignement est du Christianisme ésotérique, donc à forte influence gnostique, comme le souligne notamment Boris Mouravieff) – utilisait à ce sujet le terme de tampons (comme dans les wagons de trains) que, dès le plus jeune âge, nous nous construisons pour atténuer les chocs des contradictions qui nous traversent à chaque seconde : « ces tampons, tout en facilitant la vie nous bercent et nous font glisser vers une sorte de sommeil qui nous conduit à agir mécaniquement, ne nous laissant pas nous percevoir tels que nous sommes » [1] (en fait Gurdjieff parle là aussi de la force Kundalini : même si la culture n'existait pas, les hommes se fabriqueraient des tampons, moins nombreux que dans la culture mais même dans la nature ils sont inconscients et se fabriquent des tampons pour le supporter). Revenir à sa nature est la première tâche pour se rapprocher de la gnose : la nature est la mise en oeuvre brutale d'une position dans laquelle les hommes en quête peuvent se rapprocher davantage de ce qu'ils sont, pour devenir un peu plus conscients. Le retour à la nature et son affranchissement progressif de toutes les croyances et conditionnements culturels est pour celui qui cherche la partie de la connaissance la plus proche du commencement, mais elle ne suffit pas en tant que tel, car la nature elle aussi est aliénante, puisqu'elle est matérielle, elle est l'œuvre de Satan. La nature ne permet pas la liberté des hommes, car elle est là au contraire pour en prendre un peu à chacun d'entre eux pour servir les prédateurs sur cette terre : les Archontes, puissances démiurgiques au service des ténèbres : « les archontes voulurent tromper l'humanité dès qu'ils virent qu'elle était apparentée à ce qui est véritablement bon. Ils prirent le nom de ce qui est bon et l'attribuèrent à ce qui n'est pas bon afin de la tromper par le truchement des noms et de les attacher à ce qui n'est pas bon, et par la suite – quelle faveur ils leur font ! – (afin) de les détacher de ce qui n'est pas bon et de les placer parmi ce qui est bon à leurs yeux. Car (en réalité) ils voulaient prendre quiconque était libre et se l'attacher comme esclave à jamais » (Évangile selon Philippe). La gnose qui permet aux hommes d'échapper à la Terre leur est interdite par cette dernière (la force Kundalini est une force qui maintient les hommes dans l'inconscience, pour nourrir les prédateurs). Par conséquent, pour s'enfuir de cet enfer, il faut profiter du nombre qui reste endormi pour trouver la petite porte et déjouer ainsi les pièges des Archontes. Pour les Gnostiques, il n'y a pas d'égalité dans la connaissance au même titre que la naissance : tout le monde peut naître, mais peu peuvent s'éveiller. La connaissance est réservée aux seuls initiés ou élus, la Terre s'opposant à ce qu'elle soit accessible à tous. Si elle s'y oppose, c'est qu'elle même très consciente et très élevée, sa propre disparition serait en jeu si les hommes échappaient à son contrôle. Gurdjieff notamment, en parle dans les notes prises par Ouspensky (un de ses élèves). Castaneda, de même, parle dans le Voyage définitif, de prédateurs qui, toute notre vie, nous maintiennent sous leur emprise. Les êtres humains sont prisonniers et seuls quelques uns peuvent s'évader [2]. Dernière chose : certains voient dans le gnosticisme des parentés avec le nazisme, ce qui est en partie fondé – mais seulement en partie. Retourner à la nature fait de la tradition gnostique un enseignement très dur, très brutal. Les gnostiques considèrent que la culture est une véritable saloperie qui coupe les hommes d’eux-mêmes en les faisant vivre dans un monde faux, qui en tant que tel n’existe pas. En contrariant le « système naturel » on détruit la pérennité d'une espèce et on éloigne les hommes de ce qu'ils sont. « Briser le jeu » en voulant aller contre la nature, c’est détruire l'avenir. Être conscient ce n'est nullement s'opposer aux lois naturelles, mais au contraire les accepter, sans « replâtrage » où des valeurs culturelles données sont hypocritement conservées ce qui n'est pas sans rappeler un idéalisme païen des années trente. Pour autant parler de nazisme au sujet de la gnose, c’est être en contre sens, puisque la politique se situe aux antipodes des préoccupations des gnostiques qui n’ont pas la prétention de changer les hommes et le monde. Être conscient en effet, c'est apprendre à ne plus agir, c'est le contraire de la volonté de changer le monde. Laisser les autres choisir, ne pas vouloir changer le monde, la vie sur cette terre est comme elle est, et doit être accepter comme elle est. La conscience mène dans d’autres mondes, très éloignés de notre condition humaine... plus un homme est conscient, plus il est dans le non faire, c'est-à-dire : moins il agit.

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